Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
NOS TRAVERS

qui doivent recevoir avec un dos patient la sempiternelle averse des pleurs, des récriminations et des soupirs lamentables. Ces victimes deviennent d’autant plus précieuses à leur bourreau qu’elles seront les témoins du roman, unique peut-être, qu’une vieille fille cultive religieusement, qu’elle arrose de larmes jamais taries comme on renouvelle les fleurs sur la tombe d’un trépassé sans successeur.

Ce sera quelquefois aussi son confesseur qu’elle ira obséder de sa lubie.

Quand le prêtre lui dira que le meilleur dérivatif à son tourment est la résignation, une vie sérieuse et occupée, l’oubli d’elle-même et de son rêve obstiné, les remontrances glisseront sur cette âme.

Au bout de huit jours elle reviendra encore, poussée par l’inconscient besoin de parler de sa hantise à une oreille indulgente ; elle osera, avec une hypocrisie dont elle-même ne se rend pas compte, demander de nouvelles consolations quand elle ne craint rien tant que d’être consolée.

Eh, mon Dieu, il ne suffit donc pas aux incomprises de savoir que leur affliction n’est qu’un encens qui grise sans le toucher leur bel infidèle, pour les engager à réprimer d’inutiles démonstrations et à refuser l’hommage public de leurs larmes à un indifférent.

L’amour-propre ou même le respect de soi-même n’éprouve donc que chez elles aucune répugnance devant ce rôle de délaissées qu’elles affichent ainsi ? Qu’elles sachent donc que ce qu’elles gagnent par des déchéances de leur dignité est payé trop chèrement et ne leur rapportera rien qui vaille.

Non ; aux yeux de quelques-unes la passion est un dieu à la fois charmeur et despotique. Sitôt qu’elles se croient touchées de son doigt elles se grandissent dans leur propre imagination et se classent immédiatement dans une catégorie d’individus à part, infiniment intéressants et subjugués comme des sujets hypnotiques par une force inéluctable.