Page:Marco Polo et al. - Deux voyages en Asie au XIIIe siècle, 1888.djvu/171

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étaient les exécuteurs de ses détestables résolutions. Il les faisait élever dans la loi meurtrière de Mahomet, laquelle promet à ses sectateurs des voluptés sensuelles après la mort. Et afin de les rendre plus attachés et plus propres à affronter la mort, il faisait donner à quelques-uns un certain breuvage, qui les rendait comme enragés et les assoupissait[1]. Pendant leur assoupissement, on les portait dans le jardin enchanté, en sorte que lorsqu’ils venaient de se réveiller de leur assoupissement ; se trouvant dans un si bel endroit, ils s’imaginaient déjà être dans le paradis de Mahomet, et se réjouissaient d’être délivrés des misères de ce monde et de jouir d’une vie si heureuse. Mais quand ils avaient goûté pendant quelques jours de tous ces plaisirs, le vieux renard leur faisait donner une nouvelle dose du susdit breuvage, et les faisait sortir hors du paradis pendant son opération. Lorsqu’ils revenaient à eux et qu’ils faisaient réflexion combien peu de temps ils avaient joui de leur félicité, ils étaient inconsolables et au désespoir de s’en voir privés, eux qui croyaient que cela devait durer éternellement. C’est pourquoi ils étaient si dégoûtés de la vie qu’ils cherchaient tous les moyens d’en sortir. Alors le tyran, qui leur faisait croire qu’il était prophète de Dieu, les voyant en l’état qu’il souhaitait, leur disait : « Écoutez-moi, ne vous affligez point ; si vous êtes prêts à vous exposer à la mort, au courage, dans toutes les occasions que je vous ordonnerai, je vous promets que vous jouirez des plaisirs dont vous avez goûté. » En sorte que ces misérables, envisageant la mort comme un bien, étaient prêts à tout entreprendre, dans l’espérance de jouir de cette vie bienheureuse. C’est de ces gens-là que le tyran se servait pour exécuter ses assassinats et ses homicides sans nombre. Car, méprisant la vie, ils méprisaient aussi la mort ; en sorte

  1. Ce breuvage enivrant n’était autre que le célèbre haschi ou hachisch, substance tirée des tiges du chanvre mis en fermentation : d’où le nom de hachischin donné à ceux qui en faisaient usage, et dont nous avons formé notre mot assassin.