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LVIII
Comment la ville de Sianfu fut prise par machines.


À l’occident, il y a un pays nommé Nanghi (Gan ou Ngan-Khin), qui est riche et agréable, où l’on fait une grande quantité d’étoffes de soie et or ; il y a aussi du froment en abondance. La ville principale de ce pays-là se nomme Sianfu (Siang-yang) ; elle a douze autres villes qui sont de sa dépendance. Cette ville a été assiégée pendant trois ans par les Tartares, sans qu’ils aient pu la prendre, pendant que toute la province de Mangi fut subjuguée. Car elle est entourée de tous côtés de marais, en sorte que l’on n’en saurait approcher, sinon du côté du septentrion. Car, pendant que les Tartares l’assiégeaient, les assiégés recevaient continuellement des vivres et autres rafraîchissements par mer, ce qui chagrinait beaucoup le Grand Khan. Ce fut dans ce temps-là que j’allai à la cour dudit empereur, avec mon père et mon oncle ; et nous lui donnâmes un conseil, pour prendre, en peu de temps, cette ville par le moyen de certaines machines dont l’usage n’était pas connu en ce pays. Ayant approuvé notre conseil, nous fîmes faire, par des charpentiers chrétiens, trois machines si grandes qu’elles jetaient des pierres de trois cents livres pesant. Après en avoir fait l’épreuve, le roi les fit mettre sur des vaisseaux et les envoya à son armée ; ils les dressèrent devant la ville de Sianfu, et commencèrent à les faire jouer avec tant d’impétuosité contre la ville, que la première pierre étant tombée sur une maison l’écrasa presque entièrement. Les Tartares, ayant vu l’effet de ces machines, en furent fort étonnés ; mais ceux de la ville, voyant le danger où ils se trouvaient, vu qu’ils n’étaient plus en sûreté dans leurs maisons ni sous leurs murailles, capitulèrent et se rendirent au Grand Khan, pour éviter une ruine totale[1].

  1. Ce chapitre a donné lieu à de nombreux commentaires : car, outre que les textes de Marco Polo offrent beaucoup de variantes, des historiens chinois qui parlent de ce siège semblent dire qu’on y fit usage de véritables « canons à feu » ; mais ce sont là de simples hypothèses. La question de priorité d’invention de la poudre est encore trop mal élucidée pour que l’on puisse rien admettre de certain à ce sujet. Selon les uns, les premiers « corps explosifs » seraient d’origine asiatique ; selon d’autres, l’Europe pourrait en revendiquer l’invention. Toujours est-il que notre auteur ne dit rien de particulier à ce propos.