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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/134

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me passa devant les yeux, puis les oreilles me tintèrent, et je me mis à trembler de tous mes membres. Comprenant instinctivement qu’un grand danger me menaçait, j’allais le conjurer par une prompte fuite, quand Torcola, qui devina mon intention, m’arrêta par la basque de mon habit. Force me fut de rester en place. Ce soir-là, l’entracte fut long ; il ne fut interrompu que par la voix du titiretero, qui venait d’arriver en maugréant et nous gourmanda sur notre paresse. J’étais hors d’état de lui répondre ; mais Torcola, qui avait conservé toute sa présence d’esprit, lui dit que le bras gauche du sultan Boabdil s’étant démanché, il avait fallu y remettre une autre cheville, ce qui avait occasionné cette perte de temps. Je ne sais si le bonhomme fut dupe de ce mensonge, mais il sortit en grommelant, après nous avoir dit de continuer la pièce, car le public commençait à s’impatienter.

« Croyez, monsieur, que je sentais toute l’étendue de ma faute. Pendant plusieurs jours j’en perdis l’appétit et le sommeil. Chaque fois qu’il m’arrivait d’apercevoir mes traits dans une glace, j’en détournais aussitôt les yeux avec horreur. J’aurais voulu cacher ma honte à cent pieds sous terre ; mais l’habitude du péché finit par m’en ôter la conscience. D’ailleurs, la Torcola me raillait si souvent sur mes scrupules en me jetant toutes sortes d’appellations insultantes empruntées au règne végétal,