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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/135

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que, sans me rassurer complétement sur la situation, elle parvint à me la faire envisager d’un œil plus calme. En peu de temps, cette singulière fille acquit sur moi un empire extraordinaire, et comme j’avais eu la faiblesse de lui avouer que je possédais quelques économies, elle m’amadoua si bien, qu’elle sut s’en faire donner la plus grosse part. Cependant le bruit de cette malheureuse liaison commençait à se répandre dans le public. L’évêque en fut informé, et, s’indignant du scandale que je donnais, me retira mon emploi et me fit chasser de l’hospice. J’allai trouver Torcola et lui racontai mon malheur. « Eh bien, me dit-elle, puisqu’on t’a retiré le perchoir et la becquée, il faut en prendre ton parti. Reste chez nous : tu travailleras avec mon père et j’aurai soin de ta défroque, entends-tu, Cholito ? (Cholito était un nom d’amitié qu’elle me donnait dans ses moments de belle humeur.) Va, ajouta-t-elle, nous avons plus d’un tour dans notre sac, et pour peu que tu aies le pied leste et la main agile, tu ne regretteras pas longtemps ton hôpital et tes emplâtres. » Là-dessus, elle se mit à danser un bolero de sa façon, en l’accompagnant de gestes si comiques, que je ne songeai plus à mon chagrin. Ah ! monsieur, cette créature-là, toute païenne qu’elle était, eût déridé le front d’une statue et forcé la Douleur à éclater de rire. C’était un véritable singe en falbalas,