Aller au contenu

Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son être. C’est une tente qu’il croyait solidement attachée au sol et que le moindre vent suffit à emporter. Je le compris en voyant des symptômes de phthisie se manifester chez notre chère enfant. En vain j’appelai près d’elle les plus habiles médecins de la contrée ; en vain, jugeant le climat de la sierra trop rigoureux, je l’emmenai dans les vallées du littoral, dont l’air tiède convenait à la faiblesse de sa poitrine : tout fut inutile ; son état empira chaque jour, et deux mois après notre arrivée à Locumba nous pleurions, mon épouse et moi, sur le cercueil de notre enfant. Un pareil coup fut au-dessus des forces de Deborah ; comme une fleur tranchée dans sa racine, elle se courba vers la terre où reposait sa fille et ne tarda pas à l’aller rejoindre. Je restai seul entre deux tombeaux. Un moment j’eus l’idée de me couper la gorge, mais, en songeant que si j’attentais à mes jours, les portes du séjour bienheureux qu’habitaient Deborah et Polly me seraient à jamais fermées, le rasoir que j’avais saisi échappa de ma main et je me résolus à vivre. J’abandonnai la bourgade de Locumba, n’emportant de mon bonheur passé qu’une tige de sauge pourpre cueillie dans le cimetière. En rentrant dans cette demeure déserte, toutes les plaies de mon cœur se rouvrirent et saignèrent à la fois. Pendant mon absence, les alpacas et les vigognes de Deborah, confiés à la garde de mercenaires, étaient devenus d’une maigreur étique ;