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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/235

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quant aux chinchillas de Polly, j’ai toujours soupçonné mes gens de les avoir mangés. Une seule femelle pleine restait encore, qui devint l’objet de ma sollicitude. C’est la souche et l’aïeule du troupeau que vous avez vu. Que de fois, en donnant la pâture à ces compagnons de ma solitude, j’ai cru voir près de moi les ombres chéries de ma femme et de mon enfant ! — Peut-être, monsieur le Français, trouverez-vous de pareils soins bien puérils ? Mais si, comme moi, vous ayez profondément aimé, si, comme moi, vous aimez encore, vous comprendrez cette insistance de mon cœur à se rattacher par toutes ses fibres au sentiment qui l’aide à supporter la vie. Ainsi le lierre détaché par l’orage tente encore de s’unir à l’ormeau qui lui servait d’appui ! »

En achevant, M. Reegle se détourna et porta vivement son mouchoir à ses veux. Sa douleur était trop légitime pour que j’essayasse de l’atténuer par des consolations banales. Quel langage tenir à un homme dont l’affection survivait, dans toute sa force, aux objets qui l’avaient inspirée ? Je ne pus que prendre la main de ce modèle des époux et des pères et la serrer dans les miennes avec une émotion respectueuse. Nous restâmes ainsi, debout et silencieux, pendant quelques minutes, après lesquelles mon hôte, faisant un effort sur lui-même :

« Laissons là, me dit-il, ces souvenirs poignants, et venez dîner. »