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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/238

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cette réfection, que j’accompagne d’une lecture, suffit pour soutenir mes forces. »

Je ne pus réprimer un geste d’effroi, que mon hôte ne surprit pas, mais qui fit sourire le pongo, debout derrière lui. L’Indien, doué comme tous ses pareils d’un robuste appétit, ne voyait évidemment, dans l’adoption d’un pareil système, qu’un mode de suicide lent, mais infaillible.

« Et pourtant, continua M. Reegle avec mélancolie, je mangeais à merveille et digérais parfaitement avant que le malheur eût fondu sur moi ! À l’époque où mes deux anges embellissaient cette demeure, je faisais exactement cinq repas par jour, et si l’on m’eût offert alors une tasse de thé pour toute nourriture, j’eusse protesté avec indignation contre l’insuffisance d’un pareil aliment. Voyez cependant où la douleur peut conduire un homme ! »

L’occasion était favorable pour prouver à mon hôte que la douleur, selon Épiménide, n’était qu’un mot vide de sens, et l’estomac un vil organe dont nous dirigions à notre gré tous les mouvements ; qu’en laissant à cet esclave, né pour obéir, la faculté de se gouverner à sa guise, nous ouvrions la porte à ses rébellions futures et nous nous préparions des maux incalculables. Le repas solide que je venais de faire et le vin généreux dont je l’avais arrosé me suggéraient de nombreux arguments à l’appui de ma thèse, et donnaient à ma voix un accent