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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/239

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de conviction profonde, mais M. Reegle n’en fut point ébranlé ; il me laissa discourir à mon aise, et, quand je le regardai pour juger de l’effet que j’avais produit, il se contenta de hocher la tête et de me répondre :

« Le cri d’une grande douleur l’emportera toujours sur le simple vagissement d’un estomac. »

Je vis qu’il était inutile d’insister, et laissant mon hôte s’abreuver d’eau bouillante, je me retournai vers une conserve d’ananas qu’on m’avait servie à titre de dessert, et, par discrétion, je n’en mangeai que la moitié. La séance fut couronnée par une tasse de café de Paucartampu, filtré à la chaussette, selon l’usage du pays, mais dont la nuance un peu louche était rachetée par un parfum si pénétrant, que je plaignis tout bas mon vis-à-vis de s’être interdit ces voluptés gastronomiques qui eussent mêlé quelques roses à ses crêpes de deuil.

Le repas terminé, je me trouvai assez embarrassé de ma contenance. M. Reegle qui avait achevé de vider sa théière, venait d’en demander une autre : et soit que l’âcre boisson commençait d’agir sur sa fibre énervée, soit que les images funèbres qu’il évoquait à plaisir troublassent son entendement, sa conversation prit une tournure si lugubre, que je sentis bientôt mes paupières comme cerclées de plomb. J’essayai d’abord de lutter contre cette torpeur malséante ; mais, fortifiée par la digestion qui