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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/242

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tit volume était toujours à son côté, je le pris pour en voir le titre ; c’était Les nuits d’Young. Le livre, ouvert à la sixième méditation : Reflexions on man and immortality, avait ses pages tellement humides, que je crus d’abord que M. Reegle les avait arrosées de ses larmes : mais, en portant l’in-douze à mon nez, je fus choqué de l’odeur alcoolique qu’il exhalait et je le laissai retomber sur la table. Le pongo parut sur ces entrefaites ; je lui demandai s’il ne serait pas convenable d’aider son maître à regagner sa chambre, mais il me répondit qu’il n’avait aucune envie de recevoir une bouteille à la tête, comme Juan Lunar, son prédécesseur, qui s’était avisé une nuit d’interrompre le sommeil du patron.

« Au reste, ajouta-t-il avec une parfaite indifférence, c’est l’habitude de monsieur, depuis bientôt six ans, de dormir le nez sur la table quand il est bebedo, et comme cela lui arrive chaque soir, personne ici ne s’en inquiète que pour renouveler les bougies lorsqu’elles tirent à leur fin. Ordinairement, le caballero dort ainsi jusqu’à midi et se réveille de lui-même ; mais aujourd’hui, qu’il a bu une bouteille de plus que de coutume, il en aura jusqu’à cinq heures. En ce moment, vous tireriez le camareto[1] à son oreille, qu’il ne bougerait pas ! »

  1. Petit mortier qu’on enfouit dans la terre et dont la mèche pointe à l’extérieur. Les Indiens s’en servent pour leurs salves des jours de fête.