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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/249

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Je demandai à voir cette perle des héritières, et le consul me montra de l’œil une donzelle au teint bistré, vivante image de son père. Deux ou trois muguets, foncés en couleur, débitaient de galants propos à la belle, qui riait aux éclats, tout en sirotant les verres d’eau-de-vie que chacun de ses soupirants lui présentait à tour de rôle, sous figure de madrigal.

Pendant que je causais à voix basse avec le consul, je sentis qu’on me tirait par mon poncho ; je me retournai et vis la dame Matara qui, d’un geste aimable, n’invitait à m’asseoir près d’elle. Après quelques questions sur la France et l’Espagne, qu’elle croyait naïvement appartenir au continent américain, et ne former qu’un seul et même peuple de Chapetons[1], elle me demanda si je chantais en m’accompagnant sur la guitare. Je lui répondis que je n’avais jamais marié ma voix aux doux sons de cet instrument. Tout en s’étonnant d’une pareille indifférence, elle m’apprit que sa fille était une virtuose de première force, et, pour me mettre à même d’en juger, elle interpella cette dernière, qui jouait en ce moment à la main chaude avec le plus jeune de ses adorateurs.

« Approche, niñachaï[2], lui dit sa mère : voici un

  1. C’est le nom familier que donnent les Indiens aux Espagnols de la péninsule.
  2. Diminutif en quechua du mot espagnol niña, jeune fille.