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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/264

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tuer la mise à l’eau de ce navire, de l’espalmer, de le mâter, de le gréer et de renoncer pour toujours aux liqueurs fortes. Les deux Yankees, qui ne savaient où donner de la tête, avaient souscrit à tout ce qu’on exigeait d’eux, et munis de lettres de marque et de passe-ports dûment parafés, ils étaient partis pour la sierra. Malheureusement, le séjour de Puno, les caresses des indigènes et le crédit illimité qui leur fut ouvert dès le premier jour dans les chicherias, avaient agi sur eux à la façon des fruits du lotus. Oublieux de leurs promesses, ils étaient restés constamment plongés, depuis leur arrivée, dans un état intermédiaire entre l’ivresse et le sommeil.

Cependant, la cérémonie traînait en longueur, et la procession ne pouvant rester plus longtemps sur la plage, une escouade d’Indiens fut envoyée à la recherche des deux hommes, qu’après maintes perquisitions on parvint à retrouver dans une pulperia, étendus sur le sol et profondément endormis ; quelques potées d’eau, qu’on leur jeta au visage, interrompirent leur sommeil ; leur première parole en ouvrant les veux, fut un juron formidable ; leur seconde, un appel à la boxe. Mais les indigènes, sans s’émouvoir de ces démonstrations, leur jetèrent un lazo autour du corps, et les entraînèrent au pas gymnastique vers le rivage, où on les vit apparaître, débraillés, titubants et plus ahuris que des chats-huants surpris par le jour.