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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/32

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mation, ne pouvait-être qu’un vieillard chenu et cassé, une intelligence retombée en enfance. Tandis que je faisais ces réflexions, le curé se pencha vers moi.

« Tel que vous le voyez, Symphorose a cent neuf ans, me dit-il ; le gaillard mange peu, mais en revanche sa soif est telle, que je suis obligé de tenir sous clef ma provision d’eau-de-vie ; souvent, au moment de dire la messe, je m’aperçois que l’une des burettes est vide et je n’ai pas besoin de demander où le vin a passé. Encore s’il n’était qu’ivrogne ! Mais croiriez-vous qu’à son âge, le vieux cabron… » Ici le curé me dit quelques mots à l’oreille. « Oui, reprit-il à voix haute, sans mon intervention, ce mauvais sujet eût déjà fait plusieurs années de cadena, car le chiffre de ses victimes dépasse déjà la douzaine… aussi nos mères de famille, qui le redoutent à l’égal du diable, l’ont-elles surnommé sacssaracata, mot qui exprime bien le fol entraînement du drôle vers le péché en question. »

Tout ceci m’avait été dit en espagnol et Symphorose, pour qui, comme pour ses pareils, cette langue était lettre close, n’en avait pas compris un mot ; mais l’adjectif quechua, lâché par le curé, lui fit dresser l’oreille et deviner qu’il s’agissait de lui. Loin de paraître honteux de voir un étranger au courant de ses affaires, il me regarda d’un petit air de fatuité comme pour me dire : Tu ne m’aurais pas