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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/338

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coronel ! En un clin d’œil, don Estevan fut appréhendé au collet par deux amazones dont je ne pouvais distinguer les traits, mais qu’à leur tournure je crus reconnaître pour la gobernadora et l’alcada, nos anciennes connaissances. Des bouteilles allongèrent leur col hors des bissacs, et des santés furent vivement échangées entre les survenants et le colonel, que ses deux gardiennes tenaient chacune par un bras, de crainte qu’il ne tentât de se soustraire à cette ovation flatteuse. J’avais trop l’habitude de ces sortes de manifestations pour ne pas deviner tout de suite qu’il s’agissait d’un cacharpari, ou fête d’adieu que les notables de Cailloma étaient venus offrir à don Estevan en échange de ses politesses. Néanmoins, à la façon dont les rasades se succédaient, au milieu des cris et des rires, je commençai à trembler pour mon malheureux compagnon, que ses bourreaux femelles forçaient de tenir tête à tous les buveurs des deux sexes qui s’offraient tour à tour pour trinquer avec lui. Craignant qu’un pareil sort ne me fût réservé si l’on venait à me découvrir dans ma cachette, je jetai les yeux autour de moi, et, apercevant entre les rochers une gerçure du sol assez profonde, je sautai dedans, au risque de me briser les jambes. Là, pelotonné sur moi-même, je me remis à faire des hachures, en ayant soin d’allonger de temps en temps le cou hors de ma fosse pour suivre les progrès de la fête.