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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/36

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« Le cadavre n’était pas encore refroidi que Tupac-Amaru dépêchait des chasquis dans toutes les provinces pour les engager à se joindre à nous. Mais la nouvelle de la mort du corrégidor était déjà parvenue à Cuzco ; une junte s’organisa, et cinq cents soldats espagnols furent chargés de nous poursuivre. Tupac-Amaru fit monter aussitôt des Indiens sur les hauteurs avec ordre de surveiller la marche de l’ennemi. L’un d’eux vint un soir nous avertir que les Espagnols étaient arrivés à Sangarrara et qu’ils passeraient la nuit dans l’église, dont ils avaient fait une caserne. Tupac-Amaru nous réunit au nombre de six mille ; nous quittâmes nos sandales pour faire moins de bruit, et, munis de sacs de bosta, de brassées d’ichu et de tout le bois que nous avions pu ramasser en chemin, nous arrivâmes vers minuit dans le village de Sangarrara, où les Espagnols, sans défiance, dormaient comme des bienheureux. Nous commençâmes d’abord par cerner l’église et, dressant le long de ses murs tout le combustible que nous nous étions procuré, nous y mîmes le feu. L’église, construite en pieux de Huarango[1], était vieille et brûla comme de l’étoupe.

« Pendant trois heures nous ne cessâmes de chanter, de crier et de jouer du Pututu[2], pour étouffer le

  1. Mimosa lutea.
  2. Corne d’Ammon. — Les Indiens ne sonnent de cet instrument que dans des occasions solennelles et à propos d’événements tristes plutôt que joyeux.