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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/384

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vous comprendrez mieux l’une après avoir entendu l’autre. »

J’inclinai la tête en signe d’acquiescement, et tandis que Pedro Diaz cherchait à rassembler ses souvenirs en plumant son gallinaso, j’allumai un cigare et m’établis le plus commodément possible, laissant l’homme à son récit et à son occupation.

« Mon pays est San Lucar de Barrameda, me dit-il, un joli village entre Cadix et Séville. Je suis le fils de pauvres estripa-terrones (laboureurs), à qui ses parents oublièrent d’apprendre à lire. Jusqu’à quinze ans je gardai les chèvres sur les versants de la sierra Morena ; puis un beau jour, dégoûté du métier, je suivis un muletier qui allait à Cordoue. L’homme me promettait monts et merveilles ; mais je m’aperçus bientôt que j’avais troqué mon cheval borgne contre un aveugle : le peu de lard que je mangeais avec mon pain était assaisonné de tant de coups de lazos, que j’aimai mieux manger ce pain tout sec. D’ailleurs, quoique ne sachant ni A ni iota, j’avais de l’orgueil plein mes chausses, et les taloches du muletier, si elles cuisaient à ma peau, cuisaient plus encore à mon amour-propre. J’envoyai donc le brutal à tous les diables, et partis de Cordoue à la queue d’un régiment de dragons, qui d’étape en étape me conduisit jusqu’à Madrid.

« J’étais leste et bien découplé ; j’avais le cœur à la besogne : avec ces qualités on ne reste pas long-