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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/87

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roulant une cigarette, je l’allumai et la lui offris, dans l’espoir que ce procédé délicat provoquerait chez lui un peu d’expansion ; mais, à mon grand étonnement, l’homme, au lieu de la fumer selon sa coutume, l’éteignit contre la muraille et la glissa derrière son oreille, étui naturel où les Cholos et les Métis placent volontiers leurs bouts de cigares.

« Voyons, mon brave, lui dis-je enfin, impatienté de ce mutisme, allez-vous m’apprendre ce que signifie la recommandation que vous m’avez faite ?

— Bien volontiers, me répondit-il, mais d’abord éteignez votre lumière. »

Je m’empressai de souffler ma bougie.

« J’ai l’honneur de vous annoncer, continua-t-il, que le Pérou est en pleine révolution, et que nous culbutons cette nuit le président Vidal pour en mettre un autre à sa place. Vidal est un Churupaco sans élégance et sans tournure, hors d’état de représenter dignement la nation péruvienne ; c’est de plus un homme à sentiments étroits, qui vend les broderies de ses vieux uniformes et fait venir ses repas de la Fonda, au lieu d’avoir une cuisine digne de sa situation ; vous comprenez, monsieur, qu’un pareil président ne saurait faire notre affaire, aussi nous sommes-nous empressés de lui choisir un successeur. Quant au conseil que je vous ai donné d’éteindre votre lumière, c’était tout bonnement dans la crainte que les soldats et les Cholos qui passeront