Page:Marga Andurain - Sous le voile de l islam, 1934.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La torture hypnotique et le cachot


Le fouille continue, pour en finir plus vite je veux les aider, mais une bousculade du docteur pâle, me remet à ma place, il croit que je cherche à dissimuler quelque chose.

Je me recule en ripostant :

— Méchant imbécile, tu ne comprends rien. Je voulais faciliter votre travail pour toutes ces choses qui vous sont inconnues.

On s’approche de moi, on me tâte pour voir si je ne cache rien ; furieuse j’arrache deux petits sachets, talisman que je porte toujours sur le cœur, et les jette par terre avec colère, de dépit, d’impuissance, en m’écriant :

— C’est pour la « bact » (chance), elle est jolie ma chance, je n’en veux plus.

Ces hommes dignes se jettent à quatre pattes pour les ramasser tandis que j’éclate d’un rire nerveux à la pensée des réactions que vont provoquer les signes cabalistiques qui recouvrent le parchemin. Après avoir retourné dans tous les sens mes porte-bonheur ils font semblant de croire les explications que je leur donne.

C’est ensuite le tour de mes papiers, quelques cartes compromettantes, une très bonne carte d’Arabie, une lettre commencée pour mon fils, quelques livres, chaque papier est examiné comme s’il était un document sensationnel établissant ma culpabilité.

Saïd Bey me fait signe de m’asseoir devant lui, tandis qu’il me dévisage, l’œil fixe, les dents serrées, à califourchon sur une chaise en face de moi. Il imprime alors graduellement un mouvement endiablé de va et vient à ses jambes. Il a l’air d’un épileptique. Je le regarde, ahurie, tandis que, suant et vociférant, il répète :

— Haki saï. (Parle vrai, parle vrai).

— Je parle toujours vrai, tous les Arabes de Syrie le savent ; demande à Soleiman, il te dira que je ne mens jamais.

— Parle vrai. Haki saï… tu lui as donné du poison hier matin quand il est venu te voir au harem, on t’a vue…

— Tout le monde ment, on n’a pu me voir, j’étais seule avec lui, deux minutes, nous ne nous sommes même pas touché la main. Où aurais-je pu cacher du poison, nue comme je l’étais dans le costume d’intérieur des femmes, pieds nus, bras nus… Haki saï, haki saï.

— Quand l’as-tu revu pour la dernière fois et lui avais-tu déjà donné de ces pilules ?

Et la journée se passe ainsi, devant ce chef de la police, hystérique, hurlant : « Haki saï ». Manœuvre d’hypnotisme qui, paraît-il, a son effet sur les Arabes mais à laquelle je suis insensible.

Jeber Effendi, sous-directeur de la police, écrit sur une grande feuille ses questions. Le docteur Ibrahim traduit tant bien que mal. Souvent avec des mots qui n’ont pas de sens, aussi j’exige d’écrire en face de l’interrogatoire arabe mes réponses en français.

Je suis sûre d’éviter ainsi toutes les discussions et toute erreur de traduction. Je termine mes déclarations en demandant pour la vingtième fois un avocat et un bon interprète. Le docteur Ibrahim est vexé, mais je lui dis que ma situation est trop grave pour que je ménage personne. Je lui prouve qu’il ne saisit pas la valeur des mots.

Chaque heure m’apporte un peu plus de découragement quant à la venue du délégué de la France, que le jeune M. M… devait prévenir. Qu’est devenu M. M…? Que va-t-on faire de moi cette nuit ?

La séance de torture hypnotique et l’interrogatoire prennent fin vers 8 heures du soir sur cette bonne parole du docteur Ibrahim :

— Il est heureux pour toi que Soleiman ne soit pas mort, ce qui aurait singulièrement aggravé ton cas.

— Bien sûr, et il pourra certifier que je ne lui ai pas donné de poudre rouge, alors on me rendra la liberté, et quelle réparation pourrai-je exiger ?

— Rien, si tu es libre tu seras assez contente pour ne pas demander davantage.

J’ai une peur indicible de la nuit qui tombe au milieu de mes redoutables gardiens.

J’implore Saïd Bey de me laisser retourner coucher au harem d’Ali Allmari, il me répond avec un sourire :

— Mais oui, naturellement.

Tandis que j’entends Jaber Effendi indigné et qui proteste :

— Jamais je ne la laisserai sortir d’ici.

Et il téléphone à l’émir de Djedda pour savoir ce qu’il doit faire de la « femme Zeïnab ».

Les réponses ne sont guère rassurantes.

— En bas, mais il y a une vingtaine de prisonniers !

Puis se tournant vers les policiers :

« Le bas est-il propre ?

Réponse et geste négatif des chaouichs.

« Enlevez les hommes, arrangez la pièce, ordonne Jaber Effendi, et dès qu’ils remontent, un bref commandement : « La garde, emmenez la prisonnière. »

Pour la première fois j’implore, je demande à passer la nuit dans le bureau du docteur, sur une chaise, par terre, n’importe, mais je redoute le cachot noir.

C’est un refus formel et malgré mon désespoir et ma frayeur je n’insiste pas car je les sens inébranlables.

Cliquetis d’armes, de crosses, de talons, une armée, un régiment, la guerre ou la potence, je ne sais plus. Sans même pouvoir résister je me laisse emmener, impuissante à changer ma nouvelle destinée. L’idée d’une tentative d’évasion m’effleure un instant mais j’abandonne vite cet espoir en traversant un premier hall où se trouvent quelques policiers en armes et tout un assortiment de fusils. Par terre, pêle-mêle, assis, couchés, debout des prisonniers sur lesquels je trébuche, ce sont les évacués du local qu’on me réserve et j’aboutis dans un espèce de tombeau humide monté sur pilotis.

Jamais je n’aurais pu imaginer une horreur pareille, le plafond est recouvert d’une espèce de mousseline noire de toiles d’araignées sur plus de cinquante centimètres d’épaisseur, suintant l’humidité en gouttelettes visqueuses accrochées au plafond comme des verrues liquides. Quant au sol, gluant, ce sont de vieilles planches, percées par endroits de larges trous, où tout le pied peut passer. On glisse à chaque pas sur toutes sortes d’immondices. Une odeur fétide, asphyxiante me tourne le cœur, d’autant plus que je suis sans nourriture depuis vingt-quatre heures. Les gardes déposent une petite lampe dans un coin et m’abandonnent à cette puanteur.

Terrifiée, impuissante, je me tiens debout, face à la porte, ne pouvant ni m’asseoir, ni me coucher dans ces ordures.

(À suivre.)
MARGA D’ANDURAIN.



(Tous droit de reproduction réservés et Copyright by Marga d’Andurain et Intransigeant 1934.)