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Page:Marguerite de France - Memoires et Lettres.djvu/65

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DE MARGUERITE DE VALOIS.

voir imaginer ce que j’avois à craindre. Soudain que je fus en mon cabinet, je me mets à prier Dieu qu’il luy plust me prendre en sa protection, et qu’il me gardast, sans savoir de quoy ni de qui. Sur cela le Roy mon mary qui s’estoit mis au lict, me mande que je m’en allasse coucher ; ce que je feis, et trouvay son lict entourré de trente ou quarante huguenots que je ne cognoissois point encore, car il y avoit fort peu de jours que j’estois mariée. Toute la nuict ils ne firent que parler de l’accident qui estoit advenu à monsieur l’admiral, se resolvants, des qu’il seroit jour, de demander justice au Roy de monsieur de Guise, et que si on ne la leur faisoit, qu’ils se la feroient eux-mesmes. Moy j’avois tousjours dans le cœur les larmes de ma sœur, et ne pouvois dormir pour l’apprehension en quoy elle m’avoit mise sans sçavoir de quoy. La nuict se passa de cette façon sans fermer l’œil. Au poinct du jour, le Roy mon mary dict qu’il vouloit aller jouer à la paulme attendant que le roy Charles seroit esveillé, se resolvant soudain de luy demander justice. Il sort de ma chambre, et tous ses gentils-hommes aussy. Moy voiant qu’il estoit jour, estimant que le danger que ma sœur m’avoit dict fust passé, vaincue du sommeil, je dis à ma nourrice qu’elle fermast la porte pour pouvoir dormir à mon aise.

Une heure apres, comme j’estois plus endormie, voicy un homme frappant des pieds et des mains à la porte, criant : « Navarre ! Navarre ! » Ma nourrice pensant que ce fust le Roy mon mary, court vistement à la porte et lui ouvre. Ce fust un gentil-homme