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Page:Marguerite de France - Memoires et Lettres.djvu/66

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[1572]
MÉMOIRES

nommé monsieur de Léran[1], qui avoit un coup d’espée dans le coude et un coup de hallebarde dans le bras, et estoit encores poursuivy de quatre archers, qui entrerent tous apres luy en ma chambre. Luy se voulant guarantir se jetta sur mon lict. Moy sentant cet homme qui me tenoit, je me jette à la ruelle, et luy apres moy, me tenant tousjours au travers du corps. Je ne cognoissois point cet homme, et ne sçavois s’il venoit là pour m’offenser, ou si les archers en vouloient à luy ou à moy. Nous cryons tous deux, et estions aussi effrayez l’un que l’aultre. Enfin Dieu voulust que monsieur de Nançay[2], cappitaine des gardes y vinst, qui me trouvant en cet estat-là, encores qu’il y eust de la compassion, ne se peust tenir de rire ; et se courrouçant fort aux archers de cette indiscretion, il les fist sortir, et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenoit, lequel je feis coucher et penser dans mon cabinet jusques à tant qu’il fust du tout guary. Et changeant de chemise, parce qu’il m’avoit toute couverte de sang, monsieur de Nançay me conta ce qui se passoit, et m’asseura que le Roy mon mary estoit

  1. Brantôme le nomme Lerac. La copie de la Bibliothèque de l’Arsenal porte seule Leran. On lit dans Mongez (Histoire de Marguerite de Valois, p. 104) qu’il se nommait Teyran, et était gentilhomme de l’écurie du roi de France. — C’est probablement Gabriel de Levis, vicomte de Léran.
  2. Gaspard de la Chastre, seigneur de Nançay, aïeul d’Edme, marquis de la Chastre, qui a laissé des Mémoires. Il était capitaine des gardes depuis 1568. Il s’était distingué aux batailles de Dreux, de Saint-Denis, de Jarnac, de Moncontour, etc. Mort en 1576, des suites d’une blessure reçue à la bataille de Dreux.