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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/208

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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES


NOVVELLE VINGTQVATRIESME.



En la covrt du Roy & Royne de Caſtille (deſquels les noms ne ſeront dicts) y auoit vn gentil-homme ſi parfaict en beauté & bonnes conditions, qu’il ne trouuoit ſon pareil en toutes les Eſpaignes. Chacun auoit ſes vertuz en admiration, mais encores plus ſon eſtrange façon : car iamais on ne cogneut qu’il aimaſt ou ſeruiſt quelque dame, & ſi en auoit en la court en treſgrand nombre, qui eſtoient dignes de faire bruſler la glace, mais il n’y en eut point qui euſt puiſſance de prendre ce gentil-homme, lequel auoit nom Eliſor. La Royne, qui eſtoit femme de grande vertu, mais non du tout exempte de la flamme qui moins eſt cogneuë & plus bruſle, regardant ce gentil-homme qui ne ſeruoit nulle de ſes femmes, s’en eſmerueilla, & vn iour luy demanda s’il eſtoit poſsible qu’il aimaſt auſsi peu, qu’il en faiſoit le ſemblant. Il luy reſpondit, que ſi elle voyoit ſon cueur comme ſa contenance, elle ne luy feroit point ceſte queſtion. Elle deſirant ſçauoir ce qu’il vouloit dire, le preſſa fi fort qu’il luy confeſſa qu’il aimoit vne dame qu’il penſoit eſtre la plus vertueuſe de toute la Chreſtienté. Elle feit tous ſes efforts par prieres & commandemens de ſçauoir qui elle eſtoit, mais il ne luy fut poſsible : dont faiſant ſemblant d’eſtre fort courroucée contre luy, iura qu’elle ne parleroit iamais à luy, s’il ne luy nomoit celle qu’il aimoit tant : dont il fut ſi fort ennuyé qu’il fut contraint de luy dire qu’il aimoit autant mourir s’il falloit qu’il luy confeſſaſt : mais voyant qu’il perdoit ſa veuë & bonne grace par faulte de dire vne verité tant honneſte qu’elle ne deuoit eftre mal prinſe de perſonne, luy diſt auec grande craincte : Ma dame, ie n’ay la force ne hardieſſe de la vous declarer, mais la premiere fois que vous irez à la chaſſe ie la vous feray veoir, & ſuis ſeur que vous iugerez que c’eſt la plus belle & parfaicte femme du monde. Ceſte reſponfe fut cauſe, que la Royne alla pluſtoſt à la chaſſe qu’elle n’euſt faict. Eliſor en fut aduerty & s’appreſta pour l’aller ſeruir cõme il auoit acouſtumé, & ſi auoit faict faire vn grãd miroër d’acier en façon de hallecret, & l’ayant mis deuant ſon

eſto-