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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/209

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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

eſtomach le couuroit tresbien d’vn manteau de friſe noire, qui eſtoit tout bordé de canetille & d’or frisé biẽ richemẽt. Il eſtoit monté ſur vn cheual maureau, fort bien enharnaché de tout ce qui eſtoit neceſſaire à cheual. Le harnois eſtoit tout doré & eſmaillé de noir en ouurage moreſque : ſon chapeau de ſoye noire, ſur lequel eſtoit vne riche enſeigne, ou il y auoit pour deuiſe vn amour couuert par force, tout enrichy de pierreries. L’eſpée & le poignard n’eſtoient moins beaux ne bien faicts, ne de moins bonnes deuiſes : bref il eſtoit bien en ordre, & encores plus adroit à cheual, & le ſçauoit ſi bien manier que tous ceux qui le voyoient, laiſſoient le paſſe-temps de la chaſſe pour regarder les courſes & faults que faiſoit faire Eliſor à ſon cheual. Apres auoir cõduit la Royne iuſques au lieu ou eſtoient les toilles, en telles courſes & faults que ie vous ay dict, meit pied à terre, & vint pour aider à la Royne à deſcendre : & ainſi qu’elle luy tendoit les bras, il ouurit ſon mãteau de deuant ſon eſtomach, & la prenant entre les ſiens, luy monſtrant ſon hallecret de miroër, luy diſt : Ma dame, ie vous ſupplie de regarder icy : & ſans attendre reſponſe la meiſt doucement à terre. La chaſſe finie, la Royne retourna au chaſteau ſans parler à Eliſor : mais apres le ſoupper elle l’appella, luy diſant, qu’il eſtoit le plus grãd menteur qu’elle auoit iamais veu : car il luy auoit promis de luy mõftrer à la chaſſe celle qu’il aimoit le plus, ce qu’il n’auoit faict : parquoy elle auoit deliberé de ne faire iamais eſtime ne cas de luy. Eliſor, ayant peur que la royne n’euſt entendu ce qu’il luy auoit dict, luy reſpõdit, qu’il n’y auoit point failly, car il luy auoit monſtré non la femme ſeulement, mais la choſe qu’il aimoit le mieux. Elle faiſant la meſcogneuë luy diſt, qu’elle n’auoit point entendu qu’il luy euſt monſtré vne ſeule de ſes femmes. Il eſt vray, diſt Eliſor : mais que vous ay-ie monſtré vous deſcendant de cheual ? Rien, diſt la Royne, ſinon vn miroër deuant voſtre eſtomach. En ce miroër qu’eſt-ce que vous auez veu ? diſt Eliſor. Ie n’ay veu que moy ſeulle, reſpondit la Royne. Eliſor luy diſt. Doncques, ma dame, pour obeïr à voſtre commandement vous ay tenu promeſſe : car il n’y a ny aura iamais autre image en mon cueur, que celle que vous auez veuë au deuãt de mon eſtomach, & celle lá ſeule veux-ie aimer, reuerer, & adorer, non comme femme, mais comme Dieu en terre, entre les mains de