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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/210

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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

laquelle ie mets ma mort & ma vie. Vous fuppliãt, que ma parfaicte & grande affection, qui a eſté ma vie tant que ie l’ay portée couuerte, ne ſoit ma mort en la deſcouurant : & ſi ie ne ſuis digne d’eſtre de vous regardé ny accepté pour ſeruiteur : au moins ſouffrez, que ie viue comme i’ay accouſtumé, du contentement que i’ay, dont mon cueur a auſé choiſir pour le fondement de ſon amour vn ſi parfaict & digne lieu, duquel ie ne puis auoir autre ſatisfaction, que de ſçauoir que mon amour eſt ſi grande & parfaicte, que ie me dois contenter d’aimer ſeulement, combien que ie ne puiſſe eſtre aimé : & s’il ne vous plaiſt par la cognoiſſance de ceſte grande amour, m’auoir plus agreable qu’auparauant, au moins ne m’oſtez la vie qui cõſiſte au bien que i’ay de vous veoir comme i’ay accouſtumé. Car ie n’ay de vous nul bien, ſinon autant qu’il m’en fault pour mõ extreme neceſsité : & ſi i’en ay moins, vous en aurez moins de ſeruiteurs, en perdant le meilleur & plus affectionné que vous euſtes oncques, ny ne pourriez iamais auoir. La Royne, ou pour ſe mōftrer autre qu’elle n’eſtoit, ou pour experimenter à la longue l’amour qu’il luy portoit, ou pour en aimer quelque autre qu’elle ne vouloit laiſſer pour luy, ou biẽ le reſeruant quand celuy qu’elle aimoit feroit quelque faulte pour luy bailler ſa place, diſt d’vn viſage ne courroucé, ne content : Eliſor, ie ne vous demanderay (comme ignorant l’auctorité d’amour) quelle follie vous a eſmeu à prendre vne ſi grande, ſi haulte, & difficile opinion que de m’aimer : car ie ſçay que le cueur de l’homme eſt ſi peu à ſon commandement, qu’il ne le faict pas aimer & hair ou il veult : mais pource que vous auez ſi biẽ couuerte voſtre opinion, ie deſire ſçauoir combien il y a que vous l’auez prinſe. Eliſor, regardant ſon viſage tant beau, & voyant qu’elle s’enqueroit de ſa maladie, eſpera qu’elle luy vouloit dõner quelque remede. Mais voyant ſa contenance ſi graue & ſi ſage, qui l’interrogeoit, d’autre part tõboit en vne crainte, penſant eſtre deuant vn iuge, dont il doutoit la ſentence eſtre contre luy dōnée. Si eſt-ce qu’il luy iura que ceſt amour auoit prins racine en ſon cueur des le temps de ſa grande ieuneſſe, & qu’il n’en auoit ſenty nulle peine, ſinon depuis ſept ans, non peine (à dire vray) mais vne maladie donnant tel contentement, que la gueriſon eſtoit la mort. Puis qu’ainſi eſt, diſt la Royne, que

vous