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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/211

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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

vous auez deſia experimenté vne ſi grande fermeté, ie ne dois eſtre plus legere à vous croire, que vous auez eſté à me dire voſtre affection. Parquoy s’il eſt ainſi que vous le dictes, ie veux faire telle preuue de la verité, que ie n’en puiſſe iamais doubter : & apres la preuue faicte, ie vous eſtimeray tel enuers moy, que vous meſmes iurez eſtre, & vous cognoiſſant tel que vous dictes, me trouuerez telle que vous deſirez. Eliſor la ſupplia faire de luy telle preuue qu’il luy plairoit, car il n’y auoit choſe ſi difficile qui ne luy fuſt treſaisée, pour auoir ceſt heur, qu’elle peuſt cognoiſtre l’affection qu’il luy portoit, la ſuppliant de luy commander ce qu’il luy plairoit qu’il feiſt. Elle luy diſt : Eliſor, fi vous m’aimez autãt que vous dictes, ie ſuis ſeure que pour auoir ma bonne grace, rien ne vous ſera fort à faire. Parquoy ie vous cõmande ſur tout le deſir que vous auez de l’auoir, & crainte de la perdre, que des demain, ſans plus me veoir, vous partiez de ceſte compaignie, & vous en alliez en lieu ou vous n’ayez de moy ne moy de vous vne ſeule nouuelle d’icy à ſept ans. Vous, qui en auez paſſé ſept en ceſt amour, ſçauez bien que vous m’aimez : puis quand i’auray faict pareille experience ſept autres, ie ſçauray à l’heure & croyray ce que voſtre parolle ne me peult faire croire ny entendre. Eliſor, oyant ce cruel commandemẽt, d’vn coſté doubta qu’elle le vouloit eſlongner de ſa preſence, & de l’autre eſperant que la preuue parleroit mieux pour luy que ſa parolle, accepta ſon commandement, & luy diſt : Si i’ay veſcu ſept ans ſans nulle eſperance, portant ce feu couuert : à ceſt heure qu’il eſt cogneu de vous, porteray & paſſeray les ſept ans autres en meilleure patience & eſperance. Mais, ma dame, obeïſſant à voſtre commandement, par lequel ie ſuis priué de tout le bien que i’euz iamais en ce mõde, quelle eſperãce me donnez vous au bout des ſept ans, de me recognoiſtre pour fidelle & loyal ſeruiteur ? La Royne luy diſt (tirãt vn anneau de ſon doigt) voila vn anneau que ie vous done, couppõs le tous deux par la moitié, i’en garderay l’vne, & vous l’autre, à fin que ſi le long temps auoit puiſſance de m’oſter la memoire de voſtre viſage, ie vous puiſſe recognoiſtre par ceſte moitié d’anneau ſemblable à la miẽne. Eliſor print l’anneau & le rompit en deux, & en bailla vne à la Royne, & retint l’autre : & en prenãt congé d’elle plus mort que ceux qui ont rendu l’ame, s’en alla à ſon logis

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