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le plaisir de regarder Floride, car il n’avoit nul moyen de parler à elle, &, pour se donner à congnoistre en telle compaignie, s’adressa à la fille d’un vieil Chevalier voisin de sa maison, nommée Avanturade, laquelle avoit avecq Floride tellement converse qu’elle sçavoit tout ce qui estoit caché en son cueur. Amadour, tant pour l’honnesteté qu’il trouva en elle que pource qu’elle avoit trois mil ducats de rente en mariage, délibéra de l’entretenir comme celuy qui la vouloit espouser, à quoy voluntiers elle presta l’oreille &, pour ce qu’il estoit pauvre & le père de la Damoiselle riche, pensa que jamais il ne s’accorderoit à ce mariage sinon par le moien de la Comtesse d’Arande, d’ont s’adressa à Madame Floride & luy dist : « Ma Dame, vous voyez ce Gentil homme Castillan qui souvent parle à moy ; je croy que toute sa prétente n’est que de m’avoir en mariage. Vous sçavez quel père j’ay, lequel jamais ne s’y consentira si par la Comtesse & par vous il n’en est bien fort prié. »

Floride, qui aymoit la Damoiselle comme elle mesme, l’asseura de prendre ceste affaire à cueur comme son bien propre, & feit tant Avanturade qu’elle lui présenta Amadour, lequel, luy baisant la main, cuyda s’esvanouyr d’aise ; là où il estoit estimé le mieulx parlant qui fust en Espaigne, devint muet devant Floride, dont elle fut fort estonnée, car, combien qu’elle n’eust que douze ans, si