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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/43

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DE MARGUERITE DE NAVARRE

Mais vostre maintien, ô Alençonnois, m’incite & contraint à parachever ce que j’ay commencé, & desjà je sents en moy mon cœur, vous veoiant ainsi attentifs, s’estre tant enhardy que je ne puis plus résister à vostre autorité, qui ha sur moy puissance. Car la grande révérence & crainte que toujours avés portée à Marguerite durant sa vie, & qui rend tesmoignage de vostre gratitude, me prommet que vous escouterés très-voluntièrement les louenges de sa vie, quelque personne puisse estre qui les racompte.

Vous veoiant donc délibérés de me prester l’aureille, suyvant la doctrine de Platon, je parleray premièrement des Ancestres de Marguerite ; après, de sa nourriture & institution, &, finallement, de ses mœurs & de sa vie, qu’elle a si heureusement passée en la compaignie de toutes les vertus que, de la mémoire des hommes, l’on n’a onc veu plus perfaicte femme.

Mais, si nous commenceons à louer Marguerite de l’excellence de ses Ancestres, aulcuns diront que telle louenge, tirée de la noblesse du sang, est trop froide, trop maigre & trop stérile, pource que, du temps de nos prédécesseurs, plusieurs se sont peu jacter de ce tiltre, qui toutefois ont par leurs vices obscurcy la clarté & splendeur de leur lignée. Trèsbien, certes, & trèsvéritablement escrit Euripide, quand il appelle celuy noble qui est bon & juste ; car, quoy que l’homme injuste soit descendu de plus noble & plus ancienne race qu’onc Juppiter ne descendit, il demeure toutefois tousjours vil & abject.

Je ne veuls aussi nier que, si Marguerite eust esté interrogée sur la noblesse du sang, elle eust respondu, avecques Phalare le Tiran, qu’elle ne congnoissoit aultre noblesse que vertu, & que le reste, comme les honneurs & les richesses, elle laissoit à Fortune. Mais, quand le mesme