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DE MARGUERITE DE NAVARRE

pareille cécité & sont tumbés en mesme fosse d’erreur & de témérité, voulants par un édict censorien défendre aux femmes l’estude de Philosophie. Mais, quoy que ne puissons nier qu’il y a certaines choses propres aux hommes, comme de conduire une armée, gouverner une République, orer en public, & d’aultres qui appartiennent aux femmes seules, comme de garder la maison, traicter bien & soigneusement leurs maris & havoir l’œil sur leur mesnage, toutefois personne aussi ne me niera, s’il n’a du tout perdu le sens, le jugement & la raison, qu’il y a pareillement d’aultres choses qui sont communes tant à la femme qu’à l’homme, comme force & magnanimité, justice, tempérance, continence, religion & générallement toutes les autres vertus.

S’il est ainsi, pourquoy ne sera il donc permis aux femmes de puiser en la commune fontaine, qui sont les livres, ce qui leur est commun avec tous les hommes ? Les livres des gentils & ethniques ont monstré les vertus à nos prédécesseurs ; les Sainctes Lettres nous les mettent aussi devant les œils, mais c’est plus perfectement que les aultres. Si ceuls qui lisent les Philosophes & regardent les Sainctes Escriptures pour y apprendre une intégrité de mœurs sont de nous estimés bons, sages & prudents, pour quelle raison défendrons nous aux femmes de lire les mesmes livres ?

Les Histoires ont consacré à la postérité Erinne, Sapho, Praxille, Sosipatre, Télésille & plusieurs aultres femmes, qui ont escrit maint œuvre poétique & rendu suffisant tesmoignage de leur bon esprit & grand sçavoir. Que dirons nous de Léontie ? N’a elle acquis une gloire immortelle de l’œuvre dont elle assaillit le Philosophe Théophraste ? Pythagore heut une fille, nommée Dame,