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IJe JOURNÉE

promesse, &, pour y parvenir, le pria de parler à une Fille qui estoit en sa compaignie, plus jeune qu’elle & bien fort belle, & qu’il luy tint propos d’amitié à fin que ceux qui le voyoient venir en sa maison si souvent pensassent que ce fust pour sa Damoiselle & non pour elle.

Ce jeune Seigneur, qui se tenoit seur d’estre autant aimé comme il aimoit, obéit entièrement à tout ce qu’elle luy commanda & se contraignit, pour l’amour d’elle, de faire l’amour à ceste fille, qui, le voyant tant beau & bien parlant, creut sa mensonge plus que une autre vérité, & l’aima autant comme si elle eust esté bien fort aymée de luy.

Et, quand la maistresse veid que les choses en estoient si avant & que toutesfois ce Seigneur ne cessoit de la sommer de sa promesse, luy accorda qu’il la vint veoir à une heure après minuict, & qu’elle avoit tant expérimenté l’amour & l’obéissance qu’il luy portoit que c’estoit raison qu’il fust recompensé de sa longue patience. Il ne fault poinct doubter de la joye qu’en reçeut cest affectionné serviteur, qui ne faillit de venir à l’heure assignée.

Mais la Dame, pour tenter la force de son amour, dist à sa belle Damoiselle : « Je sçay bien l’amour que ung tel Seigneur vous porte, dont je croy que vous n’avez moindre passion que luy, &