Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
108
IJe JOURNÉE

l’ouye, l’Amour, qui avecq si grande haste l’avoit faict coucher, le feit encores plus tost lever quand il congneut que ce n’estoit celle pour qui il avoit tant souffert. Et, avec un despit tant contre la maistresse que contre la Damoiselle, luy dist : « Vostre folie & la malice de celle qui vous a mise là ne me sçauroient faire aultre que je suis ; mais mettez peine d’estre femme de bien, car par mon occasion ne perdrez poinct ce bon nom. » Et, en ce disant, tant courroucé qu’il n’estoit possible de plus, saillit hors de la chambre & fut longtemps sans retourner où estoit sa Dame. Toutesfois Amour, qui jamais n’est sans espérance, l’asseura que, plus la fermeté de son amour estoit grande & congneue par tant d’expérience, plus la joissance en seroit longue & heureuse.

La Dame, qui avoit veu & entendu tous ces propos, fut tant contente & esbahye de veoir la grandeur & fermeté de son amour qu’il luy tarda bien qu’elle ne le pouvoit revoir pour luy demander pardon des maulx qu’elle luy avoit faictz à l’esprouver. Et, si tost qu’elle le peut trouver, ne faillit à luy dire tant d’honnestes & bons propos que, non seulement il oublia toutes ses peines, mais les estima très-heureuses, veu qu’elles estoient tournées à la gloire de sa fermeté & à l’asseurance parfaicte de son amitié, de laquelle,