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IJe JOURNÉE

que en une parole ils ont blessé deux cueurs dont les corps ne sçauroient plus faire que languir, monstrans bien par cest effect que oncques amour ne pitié n’entrèrent en leur estomac. Je sçay bien que leur fin est de nous marier chascun bien & richement, car ils ignorent que la vraye richesse gist au contentement ; mais si m’ont ils faict tant de mal & de desplaisir qu’il est impossible que jamais de bon cueur je leur puisse faire service. Je croy bien que, si jamais je n’eusse parlé de mariage, ils ne sont pas si scrupuleux qu’ils ne m’eussent assez laissé parler à vous, vous asseurant que j’aimerois mieulx mourir que changer mon opinion en pire, après vous avoir aymé d’une amour si honneste & vertueuse & pourchassé envers vous ce que je vouldrois défendre envers tous. Et pour ce qu’en vous voyant je ne sçaurois porter ceste dure pénitence, & que en ne vous voyant mon cueur, qui ne peut demeurer vuide, se rempliroit de quelque desespoir dont la fin seroit malheureuse, je me suis deliberé & dès long temps de me mettre en Religion, non que je sçaiche très bien qu’en tous estats l’homme se peut saulver, mais, pour avoir plus de loisir de contempler la bonté Divine, laquelle, j’espère, aura pitié des fautes de ma jeunesse & changera mon cueur pour autant aimer les choses spirituelles qu’il a faict les temporelles. Et, si Dieu me faict la grâce de pouvoir