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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/131

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XIXe NOUVELLE

gaingner la sienne, mon labeur sera incessamment employé à prier Dieu pour vous, vous suppliant, par cest amour tant ferme & loyale qui a esté entre noux deux, avoir mémoire de moy en voz oraisons & prier Nostre Seigneur qu’il me donne autant de constance en ne vous voyant poinct qu’il m’a donné de contentement en vous regardant. Et, pour ce que j’ay toute ma vie esperé avoir de vous par mariaige ce que l’honneur & la conscience permettent, je me suis contenté d’espérance. Mais, maintenant que je la perds & que je ne puis jamais avoir de vous le traictement qui appartient à un mary, au moins, pour dire adieu, je vous supplie me traicter en frère & que je vous puisse baiser. »

La pauvre Pauline, qui tousjours luy avoit esté assez rigoureuse, congnoissant l’extrémité de sa douleur & l’honnesteté de sa requeste que en tel desespoir se contentoit d’une chose si raisonnable, sans luy respondre aultre chose, luy va jecter le bras au col, pleurant avecq une si grande véhémence que la parole, la voix & la force luy defaillirent & se laissa tumber entre ses bras esvanouye, dont la pitié qu’il en eut, avecq l’amour & la tristesse, luy en feirent faire autant, tant que l’une de ses compaignes, les voyant tumber l’un d’un costé & l’autre de l’autre, appella du secours qui, à force de remèdes, les feit revenir.

Alors Pauline, qui avoit desiré de dissimuler