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XIXe NOUVELLE

qu’il n’ait parfaictement aymé quelque créature en ce monde.

— Qu’appelez-vous parfaictement aimer ? » dit Saffredent. « Estimez vous parfaicts amans ceulx qui sont transiz & qui adorent les Dames de loing, sans oser monstrer leur volunté ?

— J’appelle parfaicts amants, » luy respondit Parlamente, « ceulx qui cherchent en ce qu’ils aiment quelque perfection, soit beaulté, bonté ou bonne grâce, tousjours tendans à la vertu, & qui ont le cueur si hault & si honneste qu’ils ne veulent, pour mourir, mettre leur fin aux choses basses que l’honneur & la conscience réprouvent ; car l’ame, qui n’est creée que pour retourner à son souverain bien, ne faict, tant qu’elle est dedans ce corps, que desirer d’y parvenir. Mais, à cause que les sens, par lesquels elle en peut avoir nouvelles, sont obscurs & charnels par le peché du premier père, ne lui peuvent monstrer que les choses visibles approchantes de la perfection après quoy l’ame court, cuidans trouver en une beaulté extérieure, en une grâce visible & aux vertuz morales, la souveraine beaulté, grâce & vertu. Mais, quand elle les a cherchez & expérimentez & elle n’y trouve point celuy qu’elle ayme, elle passe oultre, ainsi que l’enfant, selon sa petitesse, ayme les poupines & aultres petites choses, les plus belles que son œil peut veoir, & estime richesse d’assembler des petites pierres, mais en croissant aime les poupines vives & amasse les biens nécessaires pour la vie humaine. Mais, quand il congnoist par plus grande expérience que ès choses territoires n’y a perfection ne félicité, desire chercher le facteur & la source d’icelle. Toutes fois, si Dieu ne