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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/162

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IIJe JOURNÉE

La Royne, qui trouvoit les péchéz veniels des autres mortels en elle, l’envoya quérir & luy défendit de parler jamais au bastard, si ce n’estoit en sa chambre ou en sa salle. La Damoiselle n’en feit nul semblant, mais luy dist : « Si j’eusse pensé, Madame, que luy ou autre vous eust despleu, je n’eusse jamais parlé à luy. » Toutesfois pensa en elle mesme qu’elle chercheroit quelque autre moyen dont la Royne ne sçauroit rien, ce qu’elle feyt. Et, les mercredy, vendredy & sabmedy qu’elle jeusnoit, demeuroit en sa chambre avec sa gouvernante, où elle avoit loisir de parler, tandis que les autres souppoient, à celuy qu’elle commençoit à aymer très fort.

Et, tant plus le temps de leur propos estoit abbrégé par contraincte & plus leurs paroles estoient dictes par grande affection, car ils desroboient le temps comme fait ung larron une chose précieuse. L’affaire ne sçeut estre mené si secrettement que quelque Varlet ne le vist entrer là dedans au jour de jeusnes, & le redist en lieu où il ne fut celé à la Royne, qui s’en courrouça si fort qu’oncques puys n’osa le bastard aller en la chambre des Damoiselles. Et, pour ne perdre le bien de parler à celle que tant il aimoit, faisoit souvent semblant d’aller en quelque voyaige, & revenoit au soir en l’église ou chappelle du chasteau, habillé en Cordelier ou Jacobin, ou si bien dissimulé que nul ne