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XXJe NOUVELLE

le congnoissoit, & là s’en alloit la Damoiselle Rolandine avecq sa gouvernante l’entretenir.

Luy, voyant la grande amour qu’elle luy portoit, n’eut craincte de luy dire : « Madamoiselle, vous voyez le hazard où je me mectz pour vostre service & les deffences que la Royne vous a faictes de parler à moy. Vous voyez d’autre part quel père vous avez, qui ne pense en quelque façon que ce soit de vous marier. Il a tant refusé de bons partiz que je n’en sçaiche plus, ny près ny loing de luy, qui soit pour vous avoir. Je sçay bien que je suis pauvre & que vous ne sçauriez espouser Gentil homme qui ne soit plus riche que moy. Mais, si amour & bonne volunté estoient estimez ung trésor, je penserois estre le plus riche homme du monde. Dieu vous a donné de grands biens, & estes en danger d’en avoir encore plus. Si j’estoys si heureux que vous me voulussiez eslire pour mary, je vous serois mary, amy & serviteur toute ma vie, &, si vous en prenez ung esgal à vous, chose difficile à trouver, il vouldra estre maistre & regardera plus à vos biens qu’à vostre personne & à la beaulté que à la vertu, &, en joyssant de l’ususfruict de vostre bien, traictera vostre corps autrement qu’il ne le mérite. Le desir que j’ay d’avoir ce contentement & la paour que j’ay que vous n’en ayez point avecq ung autre me font vous supplier que par un mesme moyen vous me