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IIJe JOURNÉE

que la Royne en oyt parler, & luy demanda pour quelle occasion elle tenoit ce languaige. Rolandine luy dist que c’estoit pour luy obéyr, car elle sçavoit bien qu’elle n’avoit jamais eu envie de la marier au temps & au lieu où elle eust esté honorablement pourveue & à son ayse, & que l’aage & la patience luy avoient apprins de se contanter de l’estat où elle estoit, &, toutes les fois que l’on luy parloit de mariage, elle faisoit pareille response.

Quand les guerres estoyent passées & que le bastard estoit retourné à la Court, elle ne parloit point à luy devant les gens, mais alloit tousjours en quelque église l’entretenir soubz couleur de se confesser, car la Royne avoit defendu à luy & à elle qu’ils n’eussent à parler tous deux sans estre en grande compaignie, sur peine de leurs vies. Mais l’amour honneste, qui ne congnoist nulles défenses, estoit plus prest à trouver les moyens pour les faire parler ensemble que leurs ennemis n’estoient prompts à les guecter &, soubz l’habit de toutes les Religions qu’ils se peurent penser, continuèrent leur honneste amitié, jusques à ce que le Roy s’en alla en une maison de plaisance près de Tours, non tant près que les dames eussent peu aller à pied à aultre église que à celle du chasteau, qui estoit si mal bastie à propos qu’il n’y avoit lieu à se cacher où le confesseur n’eust esté clairement congneu.