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IIJe JOURNÉE

ou que ce soit aussi parfaictement, & gardez vous bien que nulle ne die que cette Damoiselle ait offensé son honneur, veu que par sa fermeté elle est occasion d’augmenter le nostre.

— En bonne foy, Parlamente, » dist Oisille, « vous nous avez racompté l’histoire d’une femme d’un très grand & honneste cueur, mais ce qui donne autant de lustre à sa fermeté, c’est la desloyauté de son mary, qui la vouloit laisser pour une autre.

— Je croy, » dist Longarine, « que cest ennuy là luy fut le plus importable, car il n’y a faiz si pesant que l’amour de deux personnes bien unies ne puisse doucement supporter ; mais, quand l’un fault à son debvoir & laisse toute la charge sur l’autre, la pesanteur est importable.

— Vous devriez doncques, » dist Geburon, « avoir pitié de nous, qui portons l’amour entière sans que vous y daigniez mectre le bout du doigt pour la soulager.

— Ha, Geburon, » dist Parlamente, « souvent sont différens les fardeaux de l’homme & de la femme. Car l’amour de la femme, bien fondée sur Dieu & sur honneur, est si juste & raisonnable que celuy qui se départ de telle amitié doibt estre estimé lasche & meschant envers Dieu & les hommes. Mais l’amour de la pluspart des hommes est tant fondée sur le plaisir que les femmes, ignorant leur mauvaise volunté, se y mectent aucunes fois bien avant &, quand Dieu leur faict congnoistre la malice du cueur de celluy qu’elles estimoient bon, s’en peuvent départir avecq leur honneur & bonne réputation, car les plus courtes follies sont toujours les meilleures.