Aller au contenu

Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
IJe JOURNÉE

traict assez obscur, lequel estoit commung à tous les Cordeliers, qui avoient si bien rendu compte en ce lieu de toutes leurs viandes que tout le retraict, l’aneau & la place estoient tout couverts de moust de Bacchus & de la Déesse Cerės, passé par le ventre des Cordeliers.

Ceste pauvre femme, qui estoyt si pressée que à peine eut elle le loisir de lever sa robbe pour se mettre sur l’anneau, de fortune s’alla asseoir sur le plus ord & salle endroit qui fût en tout le retraict, où elle se trouva prinse mieulx que à la gluz, & toutes ses pauvres fesses, habillemens & piedz si merveilleusement gastez qu’elle n’osoit marcher ne se tourner de nul cousté, de paour d’avoir encores pis. Dont elle se print à crier tant qu’il luy fut possible : « La Mothe, m’amie, je suis perdue & déshonorée ! »

La pauvre fille, qui avoyt oy autresfois faire des comptes de la malice des Cordeliers, soupçonnant que quelques uns fussent cachez là dedans qui la voulsissent prendre par force, courut tant qu’elle peut, disant à tous ceulx qu’elle trouvoit : « Venez secourir Madame de Roncex, que les Cordeliers veulent prendre par force en ce retraict », lesquels y coururent en grande diligence & trouvèrent la pauvre Dame de Roncex qui cryoit à l’ayde, desirant avoir quelque femme qui la peust nectoier, & avoit le derriere tout descouvert, craingnant en