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XXIIIJe NOUVELLE

Elisor, qui en fut adverty, s’appresta pour l’aller servir comme il avoit accoustumé & feit faire ung grand mirouer d’acier, en façon de hallecret, &, l’ayant mis devant son estomach, le couvrit très bien d’ung manteau de frise noire, qui estoit tout bordé de canetille & d’or frisé bien richement. Il estoit monté sur un cheval maureau, fort bien enharnaché de tout ce qui estoit nécessaire à cheval, &, quelque métal qu’il y eust, estoyt tout d’or, esmaillé de noir, à ouvraige de Moresque. Son chappeau estoit de soye noire, sur lequel estoit attachée une riche enseigne, où y avoit pour devise ung Amour couvert par Force, tout enrichi de pierreries. L’espée & le poignard n’estoient moins beaulx & bien faicts, ne de moins bonnes devises. Bref, il estoit fort bien en ordre & encores plus adroict à cheval, & le sçavoit si bien mener que tous ceux qui le voyoient laissoient le passetemps de la chasse pour regarder les courses & les sauts que faisoit faire Elisor à son cheval.

Après avoir conduict la Royne jusques au lieu où estoient les toilles, en telles courses & grands saults comme je vous ay dict, commencea à descendre de son gentil cheval, & vint pour prendre la Royne & la descendre de dessus sa hacquenée. Et, ainsi qu’elle luy tendoit les bras, il ouvrit son manteau de devant son estomach &, la prenant entre les siens, luy monstrant son hallecret de mi-