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IIJe JOURNÉE

ce lieu m’en fault aller en ung aultre où je ne veux estre congneu. »

Le bon homme Advocat fut tant aise de l’honneur que ce Prince luy faisoit de venir ainsi privément en sa maison qu’il le mena en sa chambre & dist à sa femme qu’elle apprestast la collation des meilleurs fruicts & confitures qu’elle eût, ce qu’elle feit très voluntiers, & apporta la plus honneste qu’il luy fut possible.

Et, nonobstant que l’habillement qu’elle portoit d’un couvrechef & manteau la monstrast plus belle qu’elle n’avoit accoustumé, si ne feit pas le jeune Prince semblant de la regarder ne congnoistre, mais parloit tousjours à son mary de ses affaires comme à celuy qui les avoit manyées de longue main. Et, ainsy que la Dame tenoit à genoux les confitures devant le Prince & que le mary alla au buffet pour luy donner à boire, elle luy dist que, au partir de la chambre, il ne faillist d’entrer en une Garderobbe, à main droicte, où bien tost après elle le iroit veoir.

Incontinent après qu’il eust beu remercia l’Advocat, lequel le vouloit à toutes forces accompaigner, mais il l’asseura que là où il alloit n’avoit que faire de compaignie &, en se retournant devers sa femme, luy dist :

« Aussy je ne vous veulx faire tort de vous oster ce bon mary, lequel est de mes antiens servi-