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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/244

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IIJe JOURNÉE

tast point, de demeurer au retour long temps en oraison en l’église, qui donna grande occasion aux Religieux, qui, entrans & saillans de Matines, le voyoient à genoux, d’estimer que ce fust le plus sainct homme du monde.

Ce Prince avoit une seur qui frequentoit fort ceste Religion, &, comme celle qui aimoit son frère plus que toutes les créatures du monde, le recommandoit aux prières d’ung chacun qu’elle pouvoit congnoistre bon, &, ung jour qu’elle le recommandoit affectueusement au Prieur de ce Monastère, il luy dist : « Hélas, Madame, qui est ce que vous me recommandez ? Vous me parlez de l’homme du monde aux prières du quel j’ay plus grande envie d’estre recommandé, car, si cestuy là n’est sainct & juste, » allégant le passaige que Bien heureux est qui peut mal faire & ne le faict pas, « je n’espère pas d’estre trouvé tel. »

La seur, qui eut envie de sçavoir quelle congnoissance ce beau Père avoit de la bonté de son frère, l’interrogea si fort que, en luy baillant ce secret soubz le voile de confession, luy dist :

« N’est ce pas une chose admirable que de veoir ung Prince jeune & beau laisser les plaisirs & son repos pour venir bien souvent oyr nos Matines, non comme Prince cherchant l’honneur du monde, mais comme ung simple Religieux vient tout seul se cacher en une de noz chapelles. Sans faulte ceste