Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/262

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
248
IIJe JOURNÉE

je sçay quel langaige il fault tenir, mais pensez que vous n’aymez pas tant vostre propre bien, personne & honneur, que je l’ayme. »

Le Seigneur d’Avannes crainctif, ayant la larme à l’œil, la suplia très fort que pour seureté de ses parolles elle le voulsist baiser, ce qu’elle refusa, luy disant que pour luy elle ne romproit poinct la coustume du pays.

Et en ce débat survynt le mary, auquel dist Monseigneur d’Avannes : « Mon père, je me sens tant tenu à vous & vostre femme que je vous supplye pour jamais me réputer vostre filz », ce que le bon homme feyt très voluntiers. « Et pour seureté de ceste amityé je vous prie, » dist Monseigneur d’Avannes, « que je vous baise », ce qu’il feyt. Après luy dist : « Si ce n’estoit de paour d’offencer la loy, j’en ferois autant à ma mère vostre femme ? » Le mary, voyant cela, commanda à sa femme de le baiser, ce qu’elle feyt sans faire semblant de voulloir ne non voulloir ce que son mary luy commandoit. À l’heure le feu, que la parolle avoyt commencé d’allumer au cueur du pauvre Seigneur, commencea à se augmenter par le baiser, tant par estre si fort requis que cruellement refusé.

Ce faict s’en alla ledit Seigneur d’Avannes au chasteau pour veoir le Roy son frère, où il feyt fort beaulx comptes de son voiage de Montferrat.