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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/284

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IIJe JOURNÉE

estoit possible, craingnant que, si son mary l’appercevoyt, qu’il ne la tuast.

Ung jour, ainsi qu’il estoyt dehors, sa femme, pensant qu’il ne revinst si tost, envoya quérir Monsieur le Curé, qui la vint confesser, &, ainsi qu’ilz faisoient bonne chère ensemble, son mary arriva si soubdainement qu’il n’eut loisir de se retirer de la maison ; mais, regardant le moien de se cacher, monta par le conseil de sa femme dedans ung grenier & couvrit la trappe par où il monta d’un van à vanner.

Le mary entra en la maison, & elle, de paour qu’il eust quelque soupson, le festoya si bien à son disner qu’elle n’espargna poinct le boyre, dont il print si bonne quantité, avecq la lassetté qu’il avoyt du labour des champs, qu’il luy print envye de dormir estant assis en une chaise devant son feu.

Le Curé, qui s’ennuyoit d’estre si longuement en ce grenier, n’oyant poinct de bruict en la chambre, s’advancea sur la trappe & en eslongeant le col le plus qu’il luy fut possible, advisa que le bon homme dormoyt ; & en le regardant s’appuya par mesgarde sur le van si lourdement que van & homme tresbuchèrent à bas auprès du bon homme qui dormoyt, lequel se resveilla à ce bruict, & le Curé, qui fut plus tost levé que l’autre ne l’eust apperçeu, luy dict :