Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
XIJe NOUVELLE

sions nostre honneur & nostre conscience en dangier ?

— Ce n’est pas ce que je vous dy, » respondit Dagoucin, « car celuy qui aime parfaitement craindroit plus de blesser l’honneur de sa Dame qu’elle mesme. Parquoy il me semble bien que une response honneste & gracicuse, telle que parfaicte & honneste amitié requiert, ne pourroit qu’accroistre l’honneur & amender la conscience, car il n’est pas vray serviteur qui cherche le contraire.

— Toutesfois, » dist Ennasuite, « si est ce tousjours la fin de voz oraisons, qui commencent par l’honneur & finissent par le contraire, &, si tous ceulx qui sont icy en veulent dire la vérité, je les en croy à leur serment. »

Hircan jura, quant à luy, qu’il n’avoit jamais aymé femme, hors mise la sienne, à qui il ne desirast faire offenser Dieu bien lourdement. Autant en dist Simontault, & adjousta qu’il avoit souvent souhaité toutes les femmes meschantes, hors mise la sienne. Geburon luy dist :

« Vrayement vous méritez que la vostre soit telle que vous desirez les autres ; mais, quant à moy, je puis bien vous jurer que j’ay tant aymé une femme que j’eusse mieulx aymé mourir que pour moy elle eust faict chose dont je l’eusse moins estimée, car mon amour estoit tant fondée en ses vertuz que, pour quelque bien que j’en eusse sçeu avoir, je n’y eusse voulu veoir une tache. »

Saffredent se print à rire en lui disant : « Je pensois, Geburon, que l’amour de vostre femme & le bon sens que vous avez vous eussent mis hors du dangier d’estre amoureux, mais je vois bien que non, car vous usez