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IJe JOURNÉE

amour & seureté qu’elle gouvernoit luy & sa maison comme elle vouloit.

Et advint un jour que le Gentil homme luy dist que dès sa jeunesse il avoit eu desir de faire le voyage de Jérusalem, lui demandant ce qu’il luy en sembloit. Elle, qui ne demandoit qu’à luy complaire, luy dist : « Mon amy, puisque Dieu nous a privez d’enfans & donné assez de biens, je voudrois que nous en missions une partie à faire ce sainct voyage, car là, ny ailleurs que vous alliez, je ne suis pas délibérée de jamais vous abandonner. » Le bon homme en fut si aise qu’il luy sembloit desjà estre sur le mont de Calvaire.

Et en ceste délibération vint à la Court un Gentil homme, qui souvent avoit esté à la guerre sur les Turcs & pourchassoit envers le Roy de France une entreprinse sur une de leurs villes, dont il pouvoit venir grand proffict à la Chrestienté. Ce vieil Gentil homme luy demanda de son voyage, &, après qu’il eut entendu ce qu’il estoit délibéré de faire, luy demanda si après son voyage il en vouldroit bien faire un aultre en Jérusalem, où sa femme & luy avoient grand desir d’aller. Ce Capitaine fut fort aise d’ouyr ce bon desir, & luy promit de l’y mener & de tenir l’affaire secrète. Il luy tarda bien qu’il ne trouvast sa bonne femme pour uy compter ce qu’il avoit faict, laquelle n’avoit guères moins d’envie que le voyage se parachevast