Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
37
XIIJe NOUVELLE

De luy compter en quel estonnement
Me mettoit lors mon amoureux tourment,
De dire aussi mes mauls & mes douleurs.
Il n’y a pas en toy tant de valeurs
De declairer ma grande & forte amour ;
Tu ne sçaurois me faire ung si bon tour.
À tout le moins, si tu ne peux le tout
Luy racompter, prens toy à quelque bout,
Et dy ainsi : « Craincte de te desplaire
M’a faict longtemps maulgré mon vouloir taire
Ma grande amour, qui devant toi mérite
Et devant Dieu & le ciel estre dicte,
Car ta vertu en est le fondement,
Qui me rend doulx mon trop cruel tourment,
Veu que l’on doit un tel tresor ouvrir
Devant chacun & son cueur descouvrir.
Car qui pourroit un tel amant reprendre
D’avoir osé & voulu entreprendre
D’acquerir Dame en qui la vertu toute,
Voire & l’honneur, faict son sejour sans doubte ?
Mais au contraire, on doit bien fort blasmer
Celuy qui voit un tel bien sans l’aimer.
Or, l’ay je veu & l’aime d’un tel cueur
Qu’amour sans plus en a esté vaincqueur.
Las, ce n’est point amour legier ou fainct
Sur fondement de beauté fol & painct ;
Encores moins cest amour qui me lie
Regarde en rien la villaine follie.
Poinct n’est fondé en villaine esperance
D’avoir de toy aucune joissance,
Car rien n’y a au fonds de mon desir
Qui contre toy souhaitte nul plaisir.
J’aimerois mieulx mourir en ce voyaige
Que te sçavoir moins vertueuse ou saige,
Ne que pour moy fust moindre la vertu