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IJe JOURNÉE

Dont ton corps est en ton cueur revestu.
Aimer te veulx comme la plus perfaicte
Qui oncques fut ; par quoy rien ne souhaitte
Qui puisse oster ceste perfection,
La cause & fin de mon affection,
Car, plus de moy tu es saige estimée,
Et plus aussi parfaictement aimée.
Je ne suis pas celuy qui se console
En son amour & en sa Dame folle ;
Mon amour est très saige & raisonnable,
Car je l’ay mis en Dame tant aimable
Qu’il n’y a Dieu, ny Ange en Paradis,
Qu’en te voyant ne dist ce que je dis.
Et, si de toy je ne puis estre aymé,
Il me suffist au moins d’estre estimé
Le serviteur plus parfaict qui fut oncques.
Ce que croiras, j’en suis très seur, adoncques
Que la longueur du temps te fera veoir
Que de t’aymer te fais loyal debvoir,
Et, si de toy je n’en reçois autant,
À tout le moins de t’aymer suis contant,
En t’asseurant que rien ne te demande,
Fors seulement que je te recommande
Le cueur & corps bruslant pour ton service
Dessus l’autel d’Amour pour sacrifice.
Croy hardiment que, si je reviens vif,
Tu reverras ton serviteur naïf,
Et, si je meurs, ton serviteur mourra,
Que jamais Dame un tel n’en trouvera.
Ainsi de toy s’en va emporter l’onde
Le plus perfaict serviteur de ce monde.
La mer peut bien ce mien corps emporter,
Mais non le cueur, que nul ne peut oster
D’avecques toy, où il faict sa demeure
Sans plus vouloir à moy venir une heure.