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XIIJe NOUVELLE

Si je pouvois avoir, par juste eschange,
Un peu du tien, clair & pur comme un ange,
Je ne craindrois d’emporter la victoire
Dont ton seul cueur en gagneroit la gloire.
Or vienne doncques ce qu’il en adviendra ;
J’en ay jecté le dé ; là se tiendra
Ma volunté sans aucun changement,
Et, pour mieulx peindre au tien entendement
Ma loyaulté, ma ferme seureté,
Ce diamant, pierre de fermeté,
En ton doigt blanc te supplie prendre,
Par qui pourras trop plus qu’heureux me rendre.
Ô, diamant, dy : « Amant cy m’envoye,
Qui entreprend ceste doubteuse voye
Pour mériter par ses œuvres & faicts
D’estre du rang des vertueux parfaicts,
À fin qu’un jour il puisse avoir sa place
Au desiré lieu de ta bonne grace. »

La Dame lut l’epistre tout du long, & de tant plus s’esmerveilloit de l’affection du Capitaine que moins elle en avoit eu de soupçon. Et, en regardant la table du diamant grande & belle, dont l’anneau estoit esmaillé de noir, fut en grande peine de ce qu’elle en avoit à faire. Et, après avoir resvé toute la nuict sur ces propos, fut très aise d’avoir occasion de ne luy faire response par faulte de messaigier, pensant en elle mesme qu’avecq les peines qu’il portoit pour le service de son maistre, il n’avoit besoing d’estre fasché de la mauvaise response qu’elle estoit déliberée de luy faire, la-