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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/57

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XIIJe NOUVELLE

paignon avoit plus de paour que desir de sa victoire.

À la fin, quelques armes qu’il sçeut faire, reçeut tant de coups de flèches de ceulx qui ne pouvoient approcher de luy que de la portée de leurs arcs, qu’il commencea à perdre tout son sang. Et lors les Turcs, voyans la foiblesse de ces vrais Chrestiens, les vindrent charger à grands coups de cymetère, lesquels, tant que Dieu leur donna force & vie, se deffendirent jusques au bout.

Le Capitaine appella ce Gentil homme, nommé Jehan, que sa Dame luy avoit donné, & le Turc aussi, &, en mettant la poincte de son espée en terre, tombant à genoux auprès, baisa & embrassa la croix, disant :

« Seigneur, prens l’ame en tes mains de celuy qui n’a espargné sa vie pour exalter ton nom. »

Le Gentil homme, nommé Jehan, voyant qu’avec ses parolles la vie luy deffailloit, embrassa luy, & la croix de l’espée qu’il tenoit, pour le cuider secourir, mais un Turc par derrière luy coupa les deux cuisses, &, en criant tout hault : « Allons, Capitaine, allons en Paradis veoir celuy pour qui nous mourons, » fut compaignon à la mort comme il avoit esté à la vie du pauvre Capitaine.

Le Turc, voyant qu’il ne pouvoit servir à l’un ny à l’aultre, estant frappé de quinze flèches, se