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XVe NOUVELLE

peré : « Par Dieu, vous me la direz », & chassa dehors tous ses gens.

Et, pource qu’il avoit tousjours congneu sa femme dévote, pensa bien qu’elle ne se oseroit parjurer sur la vraye croix. Il en demanda une fort belle qu’il avoit &, quand ils furent tous deux seuls, la feit jurer dessus qu’elle luy diroit la vérité de ce qu’il lui demanderoit. Mais elle, qui avoit desja passé les premières appréhensions de la mort, reprint cueur, se délibérant, avant que mourir, de ne luy celler la verité & aussi de ne dire chose dont le Gentil homme qu’elle aimoit peust avoir à souffrir, &, après avoir oy toutes les questions qu’il luy faisoit, luy respondit ainsi :

« Je ne veulx point, Monsieur, justifier ne faire moindre envers vous l’amour que j’ay portée au Gentil homme dont vous avez soupson, car vous ne le pourriez ny ne devriez croire, veu l’expérience que aujourd’huy vous en avez eue, mais je desire bien vous dire l’occasion de ceste amitié. Entendez, Monsieur, que jamais femme n’aima autant mary que je vous ay aimé, &, depuis que je vous espousay jusques en cest aage icy, il ne sçeut jamais entrer en mon cueur autre amour que la vostre. Vous sçavez que, encores estant enfant, mes parens me vouloient marier à personnaige plus riche & de plus grande Maison que vous, mais jamais ne m’y sçeurent faire accorder dès l’heure que j’eus