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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/93

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XVe NOUVELLE

tres, elle trouva au partir du logis ung Cordelier à cheval & elle, estant sur sa haquenée, l’entretint par le chemin depuis la disnée jusques à la souppée. Et, quand elle fut à un quart de lieue du logis, elle luy dist : « Mon Père, pour la consolacion que vous m’avez donnée ceste après disnée, voylà deux escuz que je vous donne, lesquels sont dans ung papier, car je sçay bien que vous n’y oseriez toucher, vous priant que, incontinent que vous serez party d’avecq moy, vous en alliez à travers le chemin & vous gardez que ceulx qui sont icy ne vous voient. Je le dis pour vostre bien & pour l’obligation que j’ai à vous. »

Ce Cordelier, bien aise de ses deux escuz, s’en va à travers les champs le grand galop. Et, quand il fut assez loing, la Dame commença à dire tout hault à ses gens : « Pensez que vous estes bons serviteurs & bien soingneux de me garder, veu que celuy qu’on vous a tant recommandé a parlé à moy tout ce jourd’huy & vous l’avez laissé faire. Vous méritez bien que vostre bon maistre, qui se fie tant à vous, vous donne des coups de baston au lieu de vos gaiges. »

Quand le Gentil homme qui avoit la charge d’elle ouyt telz propos, il eut si despit qu’il ne pouvoit respondre, picqua son cheval, appellant deux aultres avecq luy, & feit tant qu’il attaingnit le Cordelier, lequel, les voyant venir, fuyoit au